mercredi, mars 26, 2014

Les développeurs, un atout pour la France ?

Il y a quinze jour, quand j'ai appris que Tariq Krim avait pondu une liste des cents meilleurs développeurs français, je me suis dit - et j'ai dit - que c'était totalement crétin.

Je le pense toujours. Tout d'abord parce qu'il y a officiellement 600 000 informaticiens en France (plus ou moins) et que je ne vois pas comment Tariq a pû tous les rencontrer pour constituer sa liste...

Comme le disait Jean-Laurent Morlhon en réponse à un de ses contacts : "Mais qu'est-ce que tu en as à foutre de pas faire partie de cette liste? Tu l'a jamais rencontré, ce gars...", alors, il y a effectivement de fortes chances qu'il s'agisse d'une liste des 100 meilleurs développeurs que Tariq a rencontrés...

Mais, bon, ne nous arrêtons pas à cette aspect bassement marketing, après tout, ça donne de la visibilité. "Dites-en du bien, dites-en du mal, mais surtout parlez-en autour de vous" !

Tariq a également pondu un rapport à destination de Mme Pellerin (dont on ne sait pas aujourd'hui si elle sera encore ministre dans une semaine, mais c'est une autre histoire ;-). Le contenu de ce rapport est intéressant, et mérite qu'on s'y attarde.

Si on met de côté quelques erreurs factuelles (non, Be Inc n'a pas inventé le Journaled File System, IBM a sorti JFS avant que Be Inc soit créé.), et ce côté "petit village gaulois qui résiste" qui devient agaçant quand ce n'est pas en BD, certains constats et propositions sont pertinents.

Mais revenons deux minutes sur le "village gaulois". Même Asterix essaye de comprendre le monde dans lequel il vit, au lieu de se focaliser sur ce qui se produit "au village". Il faudra un jour qu'on m'explique en quoi un cerveau français est supérieur - ou inférieur - à un cerveau guatemaltèque ou coréen... Surtout que le petit français qui a bossé sur le projet X n'a très certainement pas travaillé tout seul ou qu'avec des français ! Et qu'il y a certainement autant de petits finlandais, allemands, espagnols, etc qui participent aux projets que tout le monde utilise... l'intelligence est distribuée, et peut même agir à distance (même quand des crétins^H^H^Hpremiers ministres décident de couper Twitter ou internet!).

Cela étant dit...

  • Un immense marché linguistique : c'et absolument clair. 400 millions de clients potentiels, sans Loi Toubon, ça aide...
  • Sur le rôle des VCs, c'est assez ambigu. Voir une boîte qui développe un jeu à la con pour mobile toucher 10M$ de capital risque, ça m'en touche une sans en bouger l'autre. Est-ce que ça favorise l'innovation ? Pas sûr... Quelle est la valeur ajoutée de ce type d'investissement ?
  • Le CIR : franchement, c'est la plus grosse arnaque^H^H^Hmartingale de ces 20 dernières années : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A9dit_d%27imp%C3%B4t_recherche#Critiques. En dehors d'être une ENORME usine à gaz qui enrichit les banques et leurs conseillers (qui n'hésitent pas à vous proposer une aide pour remplir les dossiers, moyennant jusqu'à 25% du montant de cette aide !!!), c'est également une aide dont bénéficient principalement les banques et les assurances et les très grosses entreprises...
  • Les réussites françaises : ok, il y en a peu (Catia ? what else ?). En même temps, combien de leaders mondiaux allemand ou anglais dans le logiciel, à part SAP ?
  • Les opportunités d'affaire : là, je suis 100% en accord avec ce qu'écrit Tariq. Les grosses entreprises françaises sont viscéralement attachées à la notion de ROI et de centre de coûts. Sauf à être le fils de X ou le neveu de Y, qui a fait polytechnique et qui est en poste assez haut dans une grosse entreprise, vous ne trouverez pas d'entreprise pour prendre le pari de vous verser 500K€ pour utiliser votre proto, simplement sur votre gueule et 5 slides. Ca n'existe pas. La prise de risque est simplement une notion étrangère pour les grosses entreprises en France.
  • La commande publique... Quiconque a rempli les nombreux documents (DC1, DC2, etc) sait que c'est un enfer administratif. Si vous êtes une PME, laissez tomber. De toutes façon, vous serez payé avec 6 mois/un an de retard, si vous êtes sélectionné, bien sûr (et qu'on ne vienne pas me dire que la sélection n'est pas biaisée...)
  • La politique des grands groupes vis à vis de l'open source. Alors c'est simple : pour eux, c'est GRA-TUIT. S'ils ont besoin d'une assistance sur un composant et qu'un français est un des développeurs de la solution, et bien si une SSII peut proposer un développeur "spécialiste", pas de soucis : la SSII sera choisie, parce que le service achat a enregistré la grosse SSII ! Parceque ça se passe comme ça : on demande au service achat à qui on  peut s'addresser pour du support sur un composant X ou Y, et on a une liste de contacts (liste pré-établie après négociation annuelle).
  • Les développeurs non reconnus ? Oui. Si a 30 ans, tu n'es pas chef de projet, ta Rolex, tu peux aller la chercher chez Swatch...
  • Concernant le "grand tournant" technologique à prendre, ou ce qui est appelé "feuille de route technologique", désolé Tariq, mais les technos changent toutes les 3 ans, donc il faut pas venir nous raconter qu'il faut lancer un plan quinquénal sur Node.js ! Par contre, qu'il y ait des centres d'expérimentation avec retour d'expérience au sain de l'administration française, oui, ce serait une super idée...
  • Un Github français ? Mais quelle drôle d'idée... Cela dit, ce n'est pas forcément idiot, c'est juste totalement impossible d'imaginer une structure étatique à même de gérer cette infrastructure de façon assez souple et intelligente. Et si on confiait le boulôt à Cloudwatt ??? Je plaisaaaante...
  • Je suis 100% d'accord avec l'idée de promouvoir les développeurs dans l'administration. je suis intimement convaincu qu'il y a des milliers de développeurs frustrés dans les services administratifs qui feraient mieux que les prestataires payés à prix d'or. Mais il faudrait aussi laisser percoler vers le haut les meilleurs d'entre eux, sachant qu'ils ne sortent pas tous de X ou de l'ENA ! Une gageure...
  • Concernant les "startup disruptives", ça relève du secteur privé. Que les investisseurs français ne souhaitent pas risquer l'argent qu'ils ont planqué à Jersey, ce n'est pas le problème de l'état. De toutes façon, ce ne sont pas les développeurs qui vont toucher le pactole au final...
  • La formation... Si on évitait de saboter l'université à coup de coupes budgétaires, déjà... Un maître de conférence de 40 ans va gagner grosso-modo ce que gagne un ingénieur junior avec 2 ans d'expérience. Et il faut s'étonner de la médiocrité de l'enseignement ? (En fait, ce qui est miraculeux, c'est que le niveau de l'enseignement ne soit pas si faible : il faut tenir compte de la passion et de l'abnégation de tout ces enseignants chercheurs, qui se font CHIER toute l'année durant à se faire rembourser avec 9 mois de retard leur chambre d'hôtel à 45€ pour la conférence qu'ils ont donnée l'année dernière, avant que les budgets soient coupés...)
  • Visa de travail : why not... C'est vrai que c'est l'enfer d'employer un travailleur qui ne vient pas de la CEE !
Voilà, il y a du boulot mais je ne sais pas pourquoi, j'ai comme m'impression qu'en terme de timing, ce rapport arrive au plus mauvais moment.

Je le trouve tout de même globalement intéressant.

1 commentaire:

Unknown a dit…

bonjour merci pour ton feedback

à lire aussi http://www.lepoint.fr/technologie/tariq-krim-la-france-a-besoin-d-un-choc-de-numerisation-19-03-2014-1802831_58.php